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D’un intérêt personnel pour la montagne et les paysages sauvages naît alors une réflexion incarnée autour de la résurgence des frontières dans  un monde que l’on pensait définitivement décloisonné, tentant d’apprivoiser le réel à travers les ressources de la fiction.

Emblématique de sa démarche, la fresque murale Atlas III (2017) réalisée pour l’exposition Les Enfants du Sabbat 18 dresse la cartographie d’un paysage fantasmé : une chaîne de montagnes imaginaire, rassemblant des sommets ordinairement dispersés aux quatre coins du monde, qui ont en commun de n’avoir jamais été gravis par l’homme. Non pas qu’ils soient physiquement plus difficiles à braver que d’autres, mais parce que pèse sur ces sommets virginaux un interdit d’ordre politique, certains étant situés entre deux frontières étatiques, ou religieux, comme c’est le cas de montagnes népalaises considérées comme sacrées. Captant l’image d’un imaginaire, c’est également par la fiction que Matthieu Dussol prolonge sa recherche de territoires dénués de frontières. Il se consacre actuellement à un film fragmenté à mi-chemin entre documentaire et fiction.

Adoptant une progression narrative scriptée sur le mode de la série, le sujet principal est une île, l’île Hans, enceinte naturelle située non loin du Groenland, entre les frontières étatiques du

Danemark et du Canada – ou plus précisément, pile au centre de la frontière, n’appartenant de fait ni à l’un ni à l’autre pays. Rocher d’à peine plus d’un kilomètre carré pris dans les glaces, il est de fait impossible de se rendre sur  l’île, dont on ne trouve de surcroît que peu d’images. À partir de ces prémisses, l’artiste invente une intrigue autour de Hans, prénom masculin glissant de la désignation d’un rocher à un personnage multiple, point de départ d’un périple passant de Hans Lucas, le pseudonyme dont Jean-Luc Godard signait quelques critiques dans Les Cahiers du Cinéma ; à une excursion rocheuse située dans le Puy de Dôme, sur lequel apparaît un visage pétrifié, figé et forgé par les années d’érosion ; aux rencontres avec des personnalités scientifiques et des explorateurs. Démontrant combien, dans l’appréhension d’un paysage, l’acte de percevoir n’est jamais vierge mais toujours précédé par les projections que lui surimposent les hommes

et qui finissent par en changer la nature concrète.

 

 

Ingrid Luquet-Gad

 

Catalogue d’exposition, Les Enfants du Sabbat 18, 2017

De l’émergence de l’image à son élargissement en paysage

 

La réflexion de Matthieu Dussol s’applique à une démarche qui est au cœur de la création plastique : le passage à l’image. Il insiste en particulier sur le paysage (un espace saisi à partir d’un point de vue) et sur le volume dont la réduction est pour l’artiste un problème complexe.

Les questions qu’il se pose fournissent la matière de ses œuvres : Comment l’image  émerge ? Comment elle est reçue ? Ce qu’elle dit à celui qui la regarde ? Ce qu’elle transmet de ce qu’elle représente ? Et, plus particulièrement quelles sont les conditions qui font de l’image un «  paysage » ? Au sujet des volumes la question est : comment l’image fixe ou mobile peut restituer la totalité de leur réalité physique ?

Questions donc sur les limites de la production artistique comme moyen de saisie du réel, sur celles des techniques mises en œuvre et sur la part de l’opérateur (l’artiste) dans le processus et, accessoirement, puisqu’il y a prise de vue : celle de la lumière.

Le travail de Matthieu Dussol, dans ce cadre, met en évidence les transformations, les déformations que subit l’image d’un objet, d’un espace dans son passage de trois à deux dimensions, et les conséquences de cette réduction sur sa perception, son identification.

L’image est une reproduction fixe ou mobile, qui résulte d’une réalité physique ou mentale. Le passage de ce qui est vu à son expression plane, ou celui du mouvement perçu à sa restitution statique. Dans le même temps qu’elle en forme une représentation appauvrie, l’image se détache de son modèle, constituant une réalité propre en face de celui-ci qui, dès lors, ne fonctionne plus que comme sa référence possible.

En face d’un paysage sublime, ou lors d’un évènement fugace nos sens ou plus tard les mots se révèlent incapables de saisir et de restituer dans leurs complexités la richesse de l’impression produite et moins encore de la maintenir dans la durée. D’où une frustration qui pousse à en retenir des bribes au moyen de mots, de traits ou de gestes.

Dans sa réflexion sur les moyens d’y répondre, Matthieu Dussol interroge l’intelligence du regard et la part d’imaginaire qui se glisse dans cette correction apprise permettant d’accepter par convention le crédit de l’image en deux dimensions d’un volume en recourant à l’enregistrement vidéographique comme moyen de restituer l’espace et le volume, ou à la photographie à cause de sa quasi automaticité, comme moyen mécanique de découpage du réel réduisant à minima l’intervention de l’artiste.

Cette problématique explique que ses protocoles de monstration, faisant appel à la vidéo, aient l’aspect expérimental de dispositifs d’atelier. Sur l’avènement de l’image l’artiste avance quatre propositions.

Le minimum pour faire image :

Une simple vibration lumineuse fait-elle image ? L’œuvre Le paysage existe-t-il sans horizon ? Smog, 2016 , sorte de ready-made assisté, lumineux, invite à y réfléchir. L’artiste ayant évacué les indices matériels (bâtiments, végétation) de la photographie d’un paysage noyé dans la brume, en la recadrant ; les indices  matériels (bâtiments, végétation…) permettant son identification en tant qu’espace ; c’est en réalité le dispositif de    monstration (le cadre) qui la constitue en paysage. Cette œuvre, en même temps qu’elle pose les limites de la représentation (peut-on représenter l’impalpable ?), témoigne de la nature illusionniste de l’image produite et de la part d’imaginaire qu’elle convoque.

La place à minima de l’artiste dans son élaboration :

Presqu’à l’opposé, les Sculptures de frigo testent le cantonnement de l’auteur en amont, dans la construction l’image. Celles-ci ne sont pas le produit direct, physique, de son action, mais celui d’un dispositif, automatique, « objectif », qui lui échappe : la  porte du frigo qui en s’ouvrant allume la lumière et sert d’obturateur.

A coté de ces images fixes, deux travaux abordent, par le recours à la vidéo, le passage de trois à deux dimensions d’un paysage ou de volumes.

Par rapport à la référence romantique :

Dans cette vidéo projection d’un coucher de soleil, qui pose une problématique à 180° de la photographie Le paysage existe-t-il ? , plus la lumière faiblie plus l’image du paysage, paradoxalement, se précise à partir de ses lignes de force. L’ilot rocheux émerge, se colore, s’opacifie et le mouvement de la mer devient perceptible. D’une manière encore plus nette, ce travail sollicite par son dispositif de monstration l’imaginaire dans la lecture de l’image, tout en  soulignant le rôle de la lumière. Les nervures de la plaque de contreplaqué brut qui sert d’écran enrichissant le mouvement des vagues et les reliefs du rocher.

A partir de la mise en scène de ces indices :

Dernière proposition : des volumes, empreintes d’éclat de roche traités selon des matériaux divers sont filmés, posés sur une plaque de placoplâtre comme des débris de paysage, par un mouvement de caméra qui multiplie les angles de vue. Cette tentative de restitution du volume est mise en miroir par le dispositif même de sa monstration fabriqué dans le même matériau que le support dans l’image.

 

 

Jean-Paul Blanchet

 

Catalogue d’exposition, Première 22, 2017